Rencontre avec G.Chauvin et R.Hubert : les deux photographes qui ont dupé Paris Match

Publié le par baptiste cogitore

 Set et Match

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       Étudiants photographes aux Arts déco, Guillaume Chauvin et Rémi Hubert, reviennent sur « l’affaire » Paris Match qui avait déchaîné les chroniqueurs médiatiques. L’hebdomadaire avait diffusé un reportage bidon sur la précarité étudiante, accordant le Grand Prix du photojournalisme étudiant aux deux « reporters ». Explicitant leur démarche, ils font le point sur une expérience dont ils affirment vouloir tourner la page.

 

         Ils se sont fait connaître l’an dernier, en remportant le Grand Prix du concours de photojournalisme organisé pour la sixième fois par Paris Match. Le jour de leur nomination dans un salon de la Sorbonne, deux étudiants des Arts déco révélaient que « Mention rien », leur reportage sur la précarité étudiante, était truqué : toutes leurs photos étaient mises en scène. Immédiatement, la plupart des médias nationaux et étrangers sont tombés à bras raccourcis sur l’hebdomadaire, pris en flagrant délit de non vérification de ses sources. Stigmatisant par la suite le sensationnalisme et le misérabilisme facile de la presse à scandale, « Mention rien », montrait des étudiants pauvres prêts à tout pour payer leurs études, sous un jour volontairement racoleur et pour tout dire obscène... Propulsés dans le monde professionnel de la photo, les deux artistes veulent aujourd’hui tourner la page tout en continuant leur réflexion sur l’image, la réalité, la fiction et l’information.

 

         « Dès le début, nous voulions gagner pour révéler la tromperie », avouent-ils. Leur déclaration publique en Sorbonne fut subtile, presque ambiguë.  Guillaume Chauvin et Rémi Hubert venaient d’apprendre leur victoire au Grand Prix de photojournalisme de Paris Match, ce 24 juin 2009. Pour un auditeur inattentif, la révélation n’avait pas de quoi scandaliser : « Notre démarche, disait-elle, [] est une tentative de remise en question : celle des rouages d’un discours médiatique qui a pour ingrédients la complaisance et le voyeurisme dans la représentation de la détresse. Grâce au Grand Prix Paris Match, nous souhaitons donc éveiller les consciences sur la fragilité, la force et l’ambiguïté des images d’information. Le sujet de la précarité étudiante nous aura enfin permis de faire d’une pierre deux coups : mettre en lumière et vous rappeler deux vulnérabilités graves, celle de certains jeunes et celle de certaines images. »

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« Porte ouverte »

         Derrière ce discours ironique aux apparences lénifiantes, Guillaume et Rémi affirment aujourd’hui leur sincérité. Selon le premier : « On leur disait merci quand même. Il y avait une dimension symbolique forte : ce sont eux qui ont lancé le photojournalisme en France » Rémi ajoute : « On ne pouvait pas venir comme ça et cracher dans la soupe. On ne voulait pas passer pour de petits révolutionnaires ». Et tous deux de conclure : « Mais ça aurait été n’importe qui d’autre, on aurait fait pareil ». Vraiment ? Les images parues récemment sur le désastre d’Haïti ou les séismes du Chili confirment la récurrence d’images obscènes dans les grands médias — y compris les quotidiens nationaux et, bien sûr, la télé. « Terrain glissant », reconnaît Guillaume… Glissons encore un peu : l’émotion doit-elle être absente de toute information ? Dans leurs réflexions d’artistes, les deux étudiants hésitent encore à se prononcer : oui à l’émotion, non au misérabilisme. « Nous n’avons pas fait ce concours pour apporter des réponses simples. Nous voulions pointer un danger, un risque : celui du systématisme de l’émotion facile, du glauque. » Une mise en garde ? « C’était plutôt enfoncer une porte ouverte. Mais ça nous paraissait utile et sain de le faire à ce moment-là », répond Guillaume. Sain et pas très risqué : en s’en prenant à Paris Match, ils ne savaient pas ce qui allait leur arriver, mais il était à peu près certain que les détracteurs de la presse à scandale seraient derrière eux pour enfoncer encore un coup cette « porte ouverte ». Parce que pour les auteurs du fake révélé par Le Monde, il ne s’agissait pas d’un simple canular visant à démonter les rouages de la mécanique à sensations de Paris Match qui fêtait, cette année-là, ses 60 ans. « Il y avait deux niveaux de lecture de notre reportage, précise Guillaume : remettre en question le langage de l’image dans la presse médiatique et sensibiliser un large public à un sujet précis : la précarité étudiante. » Le deuxième niveau est un peu passé à la trappe : les médias comme Libération ou Le Figaro.fr insistant davantage sur le fait que Match ne vérifiait pas ses sources — péché mortel en journalisme. Pour d’autres, les deux étudiants sont des « héros » de la vérité (Fraternité des précaires), ou encore de simples farceurs…

 

« Vague »

         Paris Match s’est contenté de leur sucrer les 5 000 euros du prix en les versant à l’École supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg (ESADS) au profit de « vrais » étudiants précaires. Dans un simple communiqué de presse diffusé par Hachette Filipacchi Médias (HFM), le groupe indiquait que leur travail les « éloign[ait] du règlement du Grand Prix (...) et de la philosophie que défend le magazine depuis soixante ans ». Après la cascade d’articles au vitriol contre Match, notre « facétieux duo » (Le Figaro.fr) s’est retrouvé propulsé sous les feux de la rampe. Ils avouent s’être mal préparés à cette subite notoriété, donnant le bâton aux journalistes pour régler leurs comptes avec la presse à scandale. Paris Match fut « notre tribune », ont-ils tenté d’expliquer, « pas notre cible ». Et de reconnaître sans ambages avoir été dépassés par l’ampleur de l’affaire : « On ne s’attendait pas à ce que ça pète autant. On pensait bien que d’une manière ou d’une autre, ça serait relayé par la presse, mais on n’imaginait pas en entendre parler jusqu’à l’étranger ! » affirme Guillaume. « On s’est fait dépasser par l’ampleur des événements. On ne s’attendait pas à un tel impact, à une telle vague médiatique », ajoute Rémi. Mouais… n’empêche qu’ils ont bien su profiter de cette « vague »…

 

« Grillés »

         Car juste après la remise des prix eurent lieu les rencontres photographiques d’Arles, où se retrouvaient les plus grands penseurs et praticiens de la photo de France et d’ailleurs : entre autres Willy Ronis, Patrick Robert et Nan Goldin. Compte rendu des artistes qui s’y sont rendus plus en spectateurs qu’en invités : « Là-bas, c’était sujet à discussion. Les gens étaient plus sensibles à la démarche artistique que journalistique. ». Reste que les deux artistes ont aussi suscité l’intérêt dans le monde du photojournalisme : « On a été nominés par l’ICP (International Center of Photography, ndlr.)-Infinity Award. On n’a pas gagné, mais on est arrivés assez loin avec ce reportage : pour eux, c’était du photojournalisme sur le photojournalisme. Et pas un reportage sur la précarité étudiante ». À moitié « grillés », donc, comme ils disent. Et encore : grillés sur le bon côté. Ils reconnaissent avoir fait « d’une pierre deux coups ». Parce que selon eux, leur démarche artistique est aussi restée journalistique, par le simple fait que Paris Match n’a jamais démenti leur reportage dans ses magazines. Autrement dit, les lecteurs n’ayant pas entendu parler de la polémique le prendront comme tel. « Et le premier de nos objectifs aura ainsi été validé : faire connaître la précarité des étudiants », conclut Guillaume.

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« Je suis en conflit avec ma famille depuis que j’ai seize ans. Même si je n’ai ni bourse ni aide parentale, j’ai toujours su me débrouiller seul. » Armin, 23 ans, Master de sociologie. (Légende inventée par les photographes, ndlr)

Efficaces

         Quant au monde de la photo d’art, il leur est plus ouvert que jamais. Pour Guillaume, « Se tourner vers l’art, c’était le moyen de parler de la précarité encore mieux, parce que de manière idéale. Si on avait voulu le faire de manière ‘purement journalistique’, on aurait perdu en efficacité ». Rémi renchérit, en dénonçant le « mythe » de « l’image authentique » : « Ces images sont construites pour être efficaces ». Vraies ou fausses ? Le principe de l’image authentique dans le photoreportage, explique-t-il, consiste à dire que l’image est vraie dans la mesure où le sujet représenté est en situation réelle sur l’image et dans la vie. Autrement dit, si les étudiant-e-s photographié-e-s par les deux artistes avaient vraiment été prostituées, veilleur de nuit ou fouilleurs de poubelles, on aurait passé l’éponge sur la mise en scène, sur la construction des images. Par ailleurs, les « étudiants précaires » qu’ils ont rencontrés par la suite ont tenu deux discours : d’une part, il y a ceux qui ont préféré avoir des images fausses sur un sujet vrai que l’inverse (évidemment, ça se comprend) ; et d’autre part, ceux qui auraient aimé que les artistes aillent plus loin dans leur démarche : « Une fille d’Arles nous a dit que la vie des précaires est beaucoup plus dure que ça ! Ce n’était pas assez hard pour elle », confie Guillaume. Suffisamment hard pour avoir séduit Paris Match, toutefois…

 

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« Pour pouvoir étudier le jour, je me sers de mon cul la nuit... De temps en temps je reviens à l’appart’ entre midi et deux pour dormir. C’est dingue d’en être arrivée là. Heureusement j’arrive encore à le cacher. » Emma, 23 ans, Master de Philosophie. (Légende inventée par les photographes, ndlr)


Faire le point

         Inscrits « en cinquième année bis » des Arts décoratifs, Guillaume Chauvin et Rémi Hubert ont obtenu leurs diplômes de graphistes l’an dernier. Ils se sont réinscrits pour un an à l’ESADS afin de bénéficier d’un cadre, d’une structure et de conseils. Et de poursuivre leurs travaux professionnels. Entre autres : un essai sur le rapport entre réalité et fiction de l’image suite à « l’affaire » Paris Match. Publié prochainement par un éditeur parisien indépendant, cet ouvrage de réflexion serait l’occasion d’expliciter leur démarche, fortement médiatisée mais souvent incomprise, selon eux. Et en même temps, il mettrait un point final à l’affaire. « On fait le point là-dessus, on essaie de savoir pourquoi, comment… », disent-ils, pour dépasser le stade de la blague réussie. Guillaume Chauvin (qui, par ailleurs, dessine de plus en plus, tout en poursuivant ses recherches en photo) entend bien s’essayer « pour de vrai » au photojournalisme et poursuivre sa réflexion sur l’image et la représentation. Quant à Rémi Hubert, lui aussi sensible aux enjeux de la représentation du réel et de la fiction — dont il a tiré un mémoire l’an dernier —, il affirme continuer à travailler sur ce thème, en vidéo notamment. Mais tous deux entendent « tourner la page » Paris Match pour passer à autre chose.

 

Publié dans rencontre

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J
<br /> <br /> une expo en avril 2010 à Strasbourg de Guillaume chauvin :<br /> <br /> <br /> http://syndicatpotentiel.free.fr/yacs/articles/view.php/565/<br /> <br /> <br /> <br />
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